Le légendaire Alexis Lapointe, dit le Trotteur, cousin germain de Guy Boulianne


Jean-Claude Larouche, Alexis le Trotteur (livre)Je me souviens lorsque j’étais jeune, à l’âge de la pré-adolescence, je me trouvais à l’école et sans savoir comment ni pourquoi, j’eu entre les mains l’ouvrage de Jean-Claude Larouche, intitulé « Alexis le Trotteur, 1860-1924 ». Ce livre, avec sa belle couverture jaune, fut une véritable révélation pour moi à cette époque. Je fis la connaissance d’un être exceptionnel ayant vécu à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : Alexis Lapointe, dit le Trotteur. Ce livre ouvrait alors mon horizon et me faisait savoir que ma famille se composait de cousins et d’ancêtres lointains. J’étais ébahi de retrouver le nom des Boulianne à presque toute les pages, et heureux de constater que notre héros était en fait un de mes grands cousins.

Je garde toujours ce livre dans ma bibliothèque depuis plus de quarante ans déjà, et même si les pages en sont toutes détachées, il me rappellera sans cesse le moment où je pris conscience de l’importance de connaître nos ancêtres et de perpétuer leur mémoire et leur héritage familial. Je peux presque dire que c’est de là que part mon engouement pour l’histoire et la généalogie, une passion qui se développera plusieurs années plus tard.

Alexis Lapointe, dit Alexis le Trotteur, est né le 4 juin 1860 à Saint-Étienne-de-La Malbaie ou Clermont, dans la région de Charlevoix, dans une famille de quatorze enfants. Il est mon cousin issu d’issus de germains de notre ancêtre commun, c’est-à-dire Louis-Marie Bouillanne (voir l’arbre). Ses deux grands-pères, Joseph Lapointe dit Audet et Alexis Tremblay dit Picoté, figurent parmi les membres importants de la Société des vingt-et-un, qui ouvrit la région du Saguenay à la colonisation au printemps de 1838. Sa grand-mère maternelle, Marie-Modeste Boulianne, est la soeur de François Boulianne, l’un des 21 associés.


Les exploits d’Alexis le Trotteur

François Lapointe, dit Audet et Adelphine Tremblay, dit Picoté (cadre)
Les parents d’Alexis : François Lapointe, dit Audet et Adelphine Tremblay, dit Picoté

Très tôt, Alexis Lapointe se distingue comme un original persuadé qu’il était en fait un étalon né sous une forme humaine. Enfant, il fabrique des chevaux de bois et s’amuse à les faire courir. Dès l’adolescence, il se fouette afin de stimuler ses muscles et entreprend de longs voyages dans sa région natale à l’instar de son animal fétiche. Sa famille accepte mal son excentricité : Alexis quitte le toit paternel à l’âge de 18 ans. Il passera le reste de sa vie sur la route.

Ses exploits physiques ont tellement été amplifiés qu’il devient difficile de séparer la réalité du mythe. Il a affronté à la course de nombreux chevaux, qu’il aurait toujours battus, dont le plus bel étalon du seigneur Duggan de La Malbaie.

C’est pour cela qu’on le connait sous divers surnoms: « le Surcheval », « le Centaure », « le Cheval du Nord ». L’anthropologue Marius Barbeau le décrit comme « … simple d’esprit, il avait tout juste assez de flair pour profiter de sa bizarrerie et en battre monnaie. Il devint célèbre à sa manière ».

L’anecdote la plus célèbre à son sujet veut qu’un jour, il se trouvait au quai de La Malbaie avec son père qui devait partir en bateau pour Bagotville vers 11 h. Comme son père refusait qu’il embarque avec lui, Alexis lui aurait dit : « Quand vous arriverez à Bagotville, je prendrai les amarres du bateau. » Alexis se serait saisi d’un fouet afin de se stimuler et aurait entrepris le voyage au trot, soit un trajet de 146 kilomètres. À l’arrivée du bateau à Bagotville à 23 h, soit 12 heures plus tard, Alexis aurait été sur le quai attendant son père.

Il participait à des foires ou à des compétitions où il mettait ses capacités physiques à profit. On disait qu’il pouvait danser sans arrêt toute une soirée et toute une nuit sans se fatiguer. Dans des compétitions, Alexis Lapointe devait battre à la course des trains ou les premières automobiles qui apparurent dans la région. Il a également été décrit par l’auteur de l’époque, Félix-Antoine Savard, comme un habile constructeur de four à pain.

Aujourd’hui considéré comme un personnage du folklore québécois, Alexis Lapointe dit le Trotteur a suscité, de son vivant, autant l’émerveillement que les moqueries. Son statut de légende ne s’est consolidé qu’après sa mort, dont plusieurs ignorent qu’elle a été aussi accidentelle que tragique.

La Maison d’Alexis Lapointe, dit le Trotteur. Photo © Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

La maison d’Alexis le Trotteur

Alexis Lapointe dit le Trotteur vers 1917 © Société historique du Saguenay
Alexis Lapointe vers 1917. © Société historique du Saguenay

Nous trouvons les images de la maison d’enfance d’Alexis le Trotteur sur le site web du photographe Pierre Rochette. La maison historique se situe à Clermont, dans Charlevoix-Est, au coin des rues Lapointe et des Vingt et un. C’est l’auteur et poète québécois Félix-Antoine Savard qui est à l’origine de la fondation de Clermont en 1935. Toutefois, dès le début du XIXe siècle, l’endroit est peuplé par des colons qui pratiquent l’agriculture. À l’époque, le territoire de Clermont est appelé « Chute Nairne » et est rattaché à La Malbaie.

À cette époque, le rang de la Chute (ancien nom de Clermont) est un secteur agricole. En fait, les terres y sont cultivées depuis 1790 environ. C’est un lieu paisible qui ne ressemble pas beaucoup à la ville industrielle que nous connaissons de nos jours.

Le premier propriétaire de cette grande maison fut Alexis Tremblay dit Picoté (1787-1859). C’est un homme d’affaires très actif possédant de l’argent. D’ailleurs, la grandeur de sa maison démontre qu’il est à l’aise sur le plan financier. L’histoire retient son nom à titre de fondateur de la Société des vingt-et-un, une entreprise qui a permis le développement et l’ouverture à la colonisation du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le nom de la rue des Vingt et un à Clermont rend ainsi hommage à cette Société.

Alexis Tremblay dit Picoté est aussi le grand-père maternel du fameux Alexis Lapointe dit le Trotteur (1860-1924). Ce dernier a habité dans la maison érigée par son grand-père durant son enfance. Devenu adulte, Alexis le Trotteur se rend célèbre pour ses courses contre les meilleurs chevaux trotteurs de Charlevoix et du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Le président de la Société d’histoire de Charlevoix, Serge Gauthier, écrit : « Il faut donc regarder avec respect la maison sise au coin des rues Lapointe et des Vingt et un. Elle a marqué l’histoire de Charlevoix, du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Elle mériterait de voir installer à proximité une plaque commémorative permettant de signaler aux passants sa grande importance historique. Un projet à retenir afin d’honorer les deux grands personnages de l’histoire de Charlevoix que sont Alexis Tremblay dit Picoté et Alexis Lapointe dit le Trotteur. »

Le 8 août 2010, un monument a été inauguré au parc municipal Des Berges de la ville de Clermont, près de la rivière Malbaie, pour évoquer le souvenir d’Alexis le Trotteur.

Note de l’auteur (4 mars 2020) :

Le 4 mars 2020, la maison d’Alexis le Trotteur a été la proie des flammes en après-midi ainsi que la maison voisine. C’est principalement l’intérieur qui aurait été touché. Le maire de Clermont se désole de la situation, notamment puisque l’incendie aurait fait deux victimes. La maison d’Alexis le Trotteur, situé à quelques pieds seulement de la résidence qui s’est enflammée, a subi des dommages importants. Jean-Pierre Gagnon souligne qu’il s’agit d’une perte importante pour la ville, surtout après l’incendie du Marché Lapointe il y a seulement quelques mois. (CIHO FM Charlevoix)



La fin tragique d’Alexis le Trotteur

Squelette d'Alexis le Trotteur, Musée du Saguenay, 1977 © Société d'histoire de Charlevoix
Squelette d’Alexis le Trotteur, Musée du Saguenay, 1977 © Société d’histoire de Charlevoix

Ayant vieilli, Alexis le Trotteur ne peut plus soutenir le rythme de sa jeunesse. Il s’engage donc comme ouvrier. Un de ses collègues de chantier, dont la citation est rapportée par l’historien Serge Gauthier, a dit de lui : « Je l’ai revu dix ans plus tard en Matapédia, où il n’était qu’homme de chantier comme vous et moi. On en parlait bien encore mais comme d’une gloire un peu fanée. Il ne courait plus que comme un moyen cheval, disait-on. »

Alexis le trotteur meurt écrasé par un train sur un pont alors qu’il travaille sur le chantier de construction de la centrale hydroélectrique Isle-Maligne près d’Alma au Lac-Saint-Jean en 1924. Les opinions divergent sur les raisons exactes de sa mort : soit il aurait trébuché en essayant de distancer le train à la course soit, amoindri par son déclin physique et une audition déficiente, il n’aurait tout simplement pas entendu le train arrivant derrière lui. L’historien Serge Gauthier parle d’un possible suicide.

Sa légende a été ravivée en 1966, alors que le professeur Jean-Claude Larouche exhume son squelette en vue de l’étudier. Le squelette d’Alexis le Trotteur est par la suite exposé dans des musées saguenéens pendant près de quarante ans.

La Bibliothèque et Archives nationales du Québec au Saguenay (BAnQ Saguenay) possède d’ailleurs l’enquête menée par le coroner Jules Constantin de Roberval. Ce dernier conclut : « […] que le dit Alexis Lapointe, 64 ans, journalier à l’emploi de la Quebec Development Co. est mort tué par un train lui ayant passé sur le corps; sur un pont traversant le bras sud de la Grande-Décharge le 12 janvier 1924. La mort est due à l’imprudence de la victime et aucun blâme ne peut être attribué à la Quebec Development Co. » L’ironie du sort veut que sa mort ait été causée par l’engin qui a contribué à sa renommée.

Fait intéressant, dans le dossier du coroner, une lettre datée du 9 mai 1951 provenant du Département du Procureur général de la Province de Québec indique que les effets personnels trouvés sur Alexis Lapointe lors de son décès ont été remis à l’abbé Victor Tremblay, fondateur de la Société historique du Saguenay et du Musée saguenéen. Les objets en question sont une montre avec sa chaîne en or ainsi que des pièces de monnaie totalisant 2,50 $ en argent. La lettre précise qu’ « […] ils figureraient comme des pièces intéressantes et contribueraient à rappeler le souvenir de ce disparu qui fut un personnage de type régional et vraiment unique ». Ainsi, le mythe du Trotteur avait déjà pris vie. Par ailleurs, le Musée saguenéen, maintenant connu sous le nom de Musée de La Pulperie, détient encore ces objets.

Le groupe de musique québécois Mes Aïeux lui a consacré une chanson sur son album En famille, qui met en parallèle la vie d’Alexis Lapointe, dit Alexis le Trotteur, et la frénésie de la vie moderne, intitulée Train de vie (le Surcheval) :

Alexis, ralentis!
La gloire est un train qui file à vive allure
La crinière au vent, le pied dans l’ tapis
C’est sûr, tu vas finir par frapper ton mur
Tu t’essouffles pour épater la galerie
(…)
Alexis, ralentis!
Hey, tu cours après quoi, tu cours après qui?
À c’t’ heure qu’y a pus personne sur la galerie
Hey, tu te prends pour quoi, tu te prends pour qui?
T’as pogné ta débarque, où sont tes vrais amis?
(…)
Alexis, ralentis!
Assis sur la galerie du Paradis
Toi, tu r’gardes d’en haut ceux qui te r’gardaient de haut
On court pis on s’énerve comme des p’tites fourmis
On s’épivarde, on s’éparpille comme des vraies queues d’ veaux
Hey, on court après quoi, on court après qui?
On s’essouffle pour épater la galerie
Hey, on se prend pour quoi, on se prend pour qui?
On court après nos vies, ça en vaut-tu le prix?

 

Après la mort d’Alexis le Trotteur

Les ossements d’Alexis Lapointe, dit le Trotteur. Photo © Le Quotidien

En 1966, sa dépouille est exhumée du cimetière de La Malbaie par Jean-Claude Larouche, un étudiant de premier cycle en éducation physique, afin de l’examiner. Larouche confirme sans le secours utile de ces os qu’un entraînement soutenu du Trotteur avait pu faire du Trotteur un véritable athlète. Son squelette sera confié au Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean à Chicoutimi puis transporté, avec le reste des collections du musée à sa fermeture, au musée de la Pulperie de Chicoutimi.

Une exposition inaugurée en 1999, Alexis le Trotteur : Athlète ou centaure ?, permettra de voir son squelette et des objets lui ayant appartenu.

Une controverse sur la légalité de l’exhumation et sur la pertinence de conserver sa dépouille dans un musée naîtra en mai 2006 à la suite d’un article signé Jean-François Nadeau paru dans le Devoir. Les débats entourant la légalité de la détention des os d’Alexis le Trotteur conduiront le musée à les céder à la municipalité de Clermont où ils seront inhumés le 7 novembre 2009. Cette inhumation est l’ultime chapitre d’un feuilleton qui dure depuis 2003. Il aura fallu des demandes répétées de la Société d’histoire de Charlevoix, doublées d’une pression médiatique croissante, pour que le Musée de la Pulperie accepte de se départir du squelette d’Alexis Lapointe – dit le Trotteur – qui était sa « vedette » depuis près de 30 ans.

« On le voit comme une victoire, mais surtout comme une réparation, se réjouit Serge Gauthier, président de la Société d’histoire de Charlevoix. Il fallait bien le ramener un jour ou l’autre au bon endroit, c’est-à-dire à côté de la maison où il a vécu. À force de le voir exposé comme dans un cirque, les gens avaient oublié qu’Alexis avait été une personne. Disons que c’est une belle amélioration pour lui. » Jean-Pierre Gagnon, maire de Clermont, parle pour sa part d’un “dénouement heureux”. Selon lui, il est clair qu’Alexis le Trotteur « fait partie du patrimoine culturel de Clermont ». Serge Gauthier conclut avec ces mots : « Disons que c’est une histoire assez spéciale. Maintenant, il peut reposer en paix. »

RÉFÉRENCES :

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Sylviane Faigel
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